Quelle est cette sourde crainte que l'analyse interdise de ressentir, de rêver ou de créer ? Pourquoi l'interprétation, une fois «mise en mots», déchaîne-t-elle encore des hostilités aussi virulentes, alors même que toute analyse induit nécessairement une interprétation et que toutes «interprétation», de quelque nature qu'elle soit, suppose une analyse (fût-elle implicite ?). Chacun d'eux donne accès à une part ouverte de l'œuvre, tandis que l'on aurait sans doute aimé croire qu'elle est un territoire clos.
Esclaves ou démiurges, tous les types d'interprètes sont souvent pris entre deux tentations. Ils se tournent tantôt vers les premiers instants de la conception, vers l'insécable, tantôt vers les moments de l'aboutissement ultime, une idée d'immédiateté et d'absolu en tête... Mais l'analyse donne sens parce qu'elle est partie de l'œuvre, vecteur de ses mutations.
Des compositeurs détruisent les esquisses, les repentirs, les traces de la mise en forme, afin d'éviter, peut-être, ce qu'ils appréhendent comme une «mise en pièces» de leur acte. D'autres tâchent de fixer avec une extrême précision les voies de la nécessaire re-création. Les innombrables «trouveurs» de sens vont cependant réinscrire leur projet initial, cette «œuvre» inouïe, dans le cours altéré de relations infiniment diversifiées.
Musique et parole sont tressées ensemble depuis le début ! ...
Jean-Michel Bardez