«Dans cent ans nos étonnements feront rire», écrit en 1896
Marguerite de Saint-Marceaux dans le journal qu'elle tient assidûment
de 1894 à 1927. Aurait-elle pu imaginer que ce texte serait un jour
édité et que les lecteurs du XXIe siècle y découvriraient une personnalité
singulière et un témoignage unique sur son époque ?
Née en 1850, mariée successivement à un peintre et à un sculpteur,
«Meg» tient un salon dont le fonctionnement en fait un modèle de
celui de Madame Verdurin. Bonne pianiste et chanteuse amateur,
elle reçoit compositeurs et interprètes, qu'elle détecte avec un flair
étonnant, aussi bien que peintres, sculpteurs et écrivains, et entretient
avec nombre d'entre eux des amitiés solides. C'est bien sûr ses réceptions
(on y rencontre Fauré, Ravel, Alexandre Dumas fils, Colette, Boldini,
Jacques-Émile Blanche, Isadora Duncan...) que relate son journal,
mais aussi, et bien au-delà, l'ensemble de sa vie, en une chronique
qui mêle les aspects privés et affectifs au tourbillon de ses activités :
elle est de tous les vernissages, ne manque pas une première au
concert ou à l'opéra, visite musées et monuments au cours de voyages
à travers l'Europe.
En accord avec son temps, elle adopte avec joie tous les aspects du
modernisme : elle se promène à bicyclette et découvre les plaisirs de
l'automobile, prend des photos, s'émerveille du cinéma, passe son
baptême de l'air en 1913 ; après la guerre, elle juge cependant avec
sévérité les transformations de la mode féminine, reflet de l'évolution
des moeurs. La plupart des événements contemporains trouvent un
écho dans son journal, l'incendie du Bazar de la Charité aussi bien que
les inondations de 1910, et l'actualité politique (l'affaire Dreyfus, la
guerre...) sur laquelle elle exprime des opinions tranchées.
Témoin et acteur privilégié de la vie artistique, Marguerite de
Saint-Marceaux, qui chante avec Debussy en 1894 et voit Antonin
Artaud jouer Pirandello en 1923, fait participer ses lecteurs à l'effervescence
de la création dont Paris est le foyer. Source pour l'histoire,
ce journal, publié ici dans son intégralité, procure aussi un plaisir
romanesque de lecture.