Éros mène le monde. La Femme est pour l'homme un bien si
précieux qu'il n'est pas d'entreprise qui le fasse reculer pour la
trouver ou la retrouver. Orphée n'est pas seulement le Héros du
premier opéra (Monteverdi, 1607), mais le modèle de tous
les teneurs (ténors) de cette souveraine (soprano). Il dispose
pour cette entreprise d'un talisman, lyre ou flûte (enchantée), et
surtout de son chant, bien utile pour affronter le Pouvoir (Pluton,
et d'autres) qui se dressent contre lui.
Quand le Héros est infidèle à Éros, c'est qu'il a reconverti son
désir en Volonté de puissance. Éros est subjugué par Kratos. Le
héros d'opéra (Wotan de Wagner !), comme le quidam de tout
temps, n'y gagne pas au change.
Lorsque le héros est une héroïne, l'opéra change de sens. Il raconte
alors le destin d'une séductrice, bientôt destructrice des Hommes
qui la courtisent, et enfin détruite par le cours même de sa vie.
Elle s'appelle Carmen, Traviata, ou Lulu. Ou Poppée.
À Orfeo répond Wozzeck : héros infortuné, durée courte,
personnel réduit, unité de ton. C'est le triomphe du classicisme.
De même, Lulu répond à Poppée : destin de séductrice destructrice,
durée longue, personnel nombreux, ruptures de ton, rebondissements
multiples : l'émergence du modèle baroque.
Monteverdi, Berg. L'alpha et l'omega d'une certaine histoire de l'opéra.