L'objet de ce livre est instable, comme celui de la musique. Il vise à faire une sociologie de la passion musicale qui en respecte les médiations propres, qui n'écrase pas sous les instruments de l'analyse la réalité analysée. Il tente aussi l'inverse, une théorie de la médiation formulée depuis la leçon que donne la musique. Cet art de la présence déconcerte en effet l'analyse sociologique. La musique n'a pas d'objet à montrer, elle n'est qu'accumulation de médiateurs (instruments, langages, partitions, interprètes, scènes, médias...). Pour comprendre comment les musiciens installent la musique au milieu d'eux, A. Hennion part du mouvement de réinterprétation de la musique baroque, qui, en mêlant médias modernes et traités anciens, a créé un objet inouï, l'écoute moderne d'une musique ancienne.
Restituant, ainsi la diversité des intermédiaires, humains ou matériels, par lesquels passe la relation entre musiques et publics, l'auteur analyse des dispositifs musicaux concrets, de la classe de solfège à la grande scène rock ou au concert classique. La musique est un bon modèle pour un tel repeuplement du monde de l'art : on y parle moins d'objet que de performance, d'oeuvres que de versions, d'« être » que de jeu. Non pas la musique d'un côté, le public de l'autre, et entre eux des moyens asservis : tout se joue chaque fois au milieu, dans la réussite d'un passage.
En montrant une réalité collective remplie d'instruments, de corps, d'objets, la musique introduit à une sociologie de la médiation comme double dépassement, d'une pensée critique qui réduit les objets au social et d'une pensée naturelle qui n'accepte d'objets que si elle les arrache au social.