Une certaine hésitation, semble-t-il, précède tout discours voué à la musique. Que nous nous employions à la nommer, à la décrire, à la transcrire, à la déchiffrer par les mots ou à en articuler une traduction, nous nous trouvons constamment et d'emblée confrontés à une tâche qu'il n'est pas aisé de mener à bien, qui nous pousse à considérer que jamais nous ne dirons la musique telle qu'elle se présente à nous, mais toujours de manière différée et, en quelque sorte, inappropriée. Si pour George Steiner, « le langage, au regard de la musique, " tripote ", recourt à la colle, à la ficelle ou aux clous rouillés qui sont plus ou moins à portée de main », nous pourrions tout aussi bien soutenir avec Gilles Deleuze que la position-limite à partir de laquelle oeuvre le musicographe est toujours déjà celle d'un « étranger dans sa propre langue ».
Tel est le lieu commun - et le paradoxe - de la culture musicale moderne à partir duquel ce volume a été pensé. La « résistance » et la « nécessité » mutuelles qui fondent le couple de la musique et du verbe, leur dialectique et leurs limites y sont successivement abordées par les prismes philosophiques, littéraires et musicologiques. Il s'agit de considérer l'écriture de la musique et, à la limite, de réactiver la thèse de l'ineffable musical, en le contraignant à se présenter sous ses différents visages de manière à interpréter la nature respective des territoires en jeu, et surtout de la frontière qui les sépare et les lie.