La musique est un art peu considéré par la philosophie et l'esthétique,
spontanément poéticistes et picturalistes. Trop vague, trop
louche, trop rebelle au concept : comment penser ce que l'on ne
peut que si mal décrire ? L'expérience musicale est pourtant, sous
ses deux aspects (le jeu, l'écoute), susceptible d'une approche rigoureuse.
Dans les deux cas, le corps est primordial : producteur de
musiques, il est aussi soumis aux pouvoirs de la musique qui règle
ses mouvements (danse) ou qui les dérègle (transe). La musique
nous révèle quelque chose du corps et de la corporéité ; elle nous
révèle aussi quelque chose du temps. Le temps musical est un temps
non narratif, un temps extérieur ou antérieur à l'ordre humain
du récit. On rassemble ici ces diverses puissances de la musique
sous un concept, celui d'altération. L'altération musicale se déploie
dans la construction et la vie des codes musicaux, dans l'interprétation
et l'histoire des oeuvres, mais, d'abord, dans l'oeuvre elle-même,
qui n'est pas objet mais processus : rythme, redondance,
polyphonie, immanence et retour. Le philosophe a quelque chose
à apprendre de la musique, s'il veut bien l'écouter.