Wilhelm Furtwängler fut un des chefs d'orchestre les plus prestigieux mais aussi les plus controversés de son siècle. Parce qu'il refusa de quitter l'Allemagne lors de l'arrivée au pouvoir d'Hitler et fut mis à l'honneur par les nazis - pour lesquels la musique surpassait tous les arts - il fut accusé d'avoir contribué à l'esthétisation du IIIe Reich et d'avoir ainsi soutenu sa propagande.
Pourtant, contrairement à Karajan, Furtwängler n'a jamais adhéré au parti national-socialiste et, autant qu'il le put, protégea les musiciens juifs au sein de l'Orchestre Philharmonique de Berlin qu'il dirigeait. Certes, il chercha à maintes reprises à marquer ses distances face au régime, mais il joua devant Hitler et ses hauts dignitaires. En 1945, il fut entendu par deux Commissions de dénazification et la réputation de « musicien du diable » ne le quitta plus. Mais qui était donc Furtwängler ? Un opportuniste surtout soucieux de sa carrière ? Un résistant de l'intérieur ? Un artiste de génie élevant la beauté de la musique au-dessus de l'Histoire ?
S'appuyant sur nombre d'archives souvent méconnues, Audrey Roncigli analyse les choix et les silences de Furtwängler durant ces années noires. D'une façon novatrice, elle confronte également le répertoire du Maestro aux directives culturelles nazies, et estime le poids de la tragédie dans l'interprétation des oeuvres. Dans une perspective d'histoire culturelle, son ouvrage retrace, avec passion mais sans à priori, le « cas » unique, et sans doute emblématique, de ce grand musicien perdu dans la tourmente.