« La musique étant un message véhiculé par la matière entre la nature et l'homme ou entre les hommes entre eux, elle doit être apte à parler à toute la gamme humaine de perception et d'intelligence », écrivait Xenakis en 1955 dans La crise de la musique sérielle. Il est peut-être symbolique qu'après Messiaen et Milhaud le troisième opus de la collection « Portrait(s) » consacré à un compositeur le soit à Iannis Xenakis. L'un et l'autre furent en effet deux points de référence, l'un d'adhésion, l'autre de refus, pour ce jeune exilé qui forgeait un nouveau langage musical tout en participant à l'aventure architecturale de Le Corbusier. Ce livre paraît à l'occasion d'une exposition qui marque l'entrée des précieuses archives de Xenakis à la Bibliothèque nationale de France : manuscrits, cahiers de notes, notes de travail, dossiers complets montrant l'élaboration d'une œuvre, photographies, plans témoignent de l'intense activité créatrice de celui qui, dans les années 1950, décidait de voir bien au-delà des systèmes construits au fil des siècles par la musique occidentale.
L'univers de Iannis Xenakis est profondément lié au geste graphique. Homme d'atelier et de table à dessin, familière à ceux qui eurent, comme lui, une formation initiale d'ingénieur, on le voit élaborant chacune de ses œuvres au fil des années et plus particulièrement dans les années 1950-1970 en un jeu complexe de graphiques, plans et notations musicales « traditionnelles ». Musique, architecture, mathématiques s'organisent en un tout indissociable chez Xenakis. Les Polytopes que certains ont encore en mémoire – Cluny, Beaubourg – comme des événements inouïs, nous les voyons maintenant à l'avant-garde du monde sonore, visuel, informatique que nous nous sommes forgé depuis les deux dernières décennies. On a souvent employé pour décrire les violentes émotions et l'adhésion passionnée que déclenche dans l'auditoire la musique de Xenakis les termes de « puissance tellurique », de « forces primitives ». Il est symbolique que les grandes œuvres qui font fortement appel à l'émotion individuelle, Metastasis, Nuits, Jonchaies, Herma, soient aussi d'une parfaite sophistication dans leur élaboration.