S'agissant de Bach, nous croyons avoir tout dit : c'est oublier que les
Variations Goldberg ont été publiées en 1742 à la suite de la grande
Clavierübung (le cycle de la "Pratique du Clavier") imaginée par Bach, mais sans numéro d'ordre, que la plupart de ses oeuvres n'ont été éditées qu'après sa mort, que ses
Sonates, la
Passacaille, l'
Orgelbüchlein, les fantaisies dites "de Leipzig" sont restées manuscrites ; c'est nier, aussi, les problèmes posés par la conservation des documents au 18ème siècle.
Peut-on envisager les Sonates en trio uniquement en tant qu'essai pédagogique pour un enfant de 12 ans, si doué fût-il ? Pourquoi faut-il contester le contenu des Chorals de Leipzig et l'ordre si peu convaicant des 27 pièces de la "Messe luthérienne", tels que présentés par les éditions ? Quel est le sens caché de la Passacaille en do mineur au regard de sa structure ? Le Petit Livre d'orgue est-il inachevé ? Autant de questions auxquelles on ne répondra pas sans s'obliger à une lecture de certains extraits de la Bible, car le Bach musicien se double dans tous ses actes d'un exégète puissant, ce que des documents lui ayant apprtenu viennent prouver.
Ce livre propose à ces questions des réponses parfaitement argumentées, n'affirmant rien comme établi, mais ouvre des pistes de réflexion fortes sur ces architectures complexes. Car l'oeuvre de Bach est bien un monde inachevé, et des constructions qui pouvaient nous sembler définitives seront vues sous un jour nouveau, éclaire par l'approche herméneutique de l'auteur, organiste et compositeur, et par sa connaissance intime de ce répertoire.
À l'inverse, des cycles dont nous pensions avoir hérité sous forme d'ébauches s révèleront parfaitement achevés. Car tout, chez Bach, à l'évidence, possède un sens et une raison d'être ; mais le manque de disponibilité et les soucis habituels d'un musicien au service de l'Église ou d'un prince, la mort qui rôde chaque jour et le prive d'enfants comme de sa première femme, dans les dernières années les soucis de santé, l'épuisement, ne lui laisse pas le temps de mener à terme certains de ses projets.
Ce livre passionnant laisse volontairement de côté les aspects biographiques déjà si souvent commentés ; il s'adresse bien sûr aux musicologues, hymnologues et interprètes mais aussi aux mélomanes impatients de saisir, par l'hymnologie ou les symboliques employées, le sens profond de nombreuses oeuvres pour le clavier.
Un ouvrage nécessaire qui aborde parfois le domaine très intime de la foi, chez un homme que l'on a longtemps cru seulement musicien de génie, et qui se révèle ici comme un créateur obstiné et passionné.
Jacques Pichard, concertiste, compositeur, organiste de la cathédrale de Nanterre, enseigne l'orgue en conservatoire et lors de stages. Diplômé du CNR d'Aubervilliers-La Courneuve et de l'École Normale de Musique de Paris en orgue et écriture, il remporte en 2002 le 1er Prix (Prix du Ministère de la Culture) au Concours International de Composition de Bordeaux. Ses oeuvres ont été créées et jouées en Europe et en Asie ; il donne de nombreux récitals, notamment sur des instruments historiques. Il prononce également des conférences et publie des articles sur la musique baroque allemande, collaborant en tant que compositeur et musicologue à des revues spécialisées. Il a enregistré en 2017 un CV "Buxtehude - Böhm - Bruhns - Bach - Walther" sur l'orgue Le Blé de la cathédrale de Nanterre.
Du même auteur : Dieterich Buxtehude ou la vision de l'Esprit, 2019, préface de Gilles Cantagrel (édité à compte d'auteur).