L'écriture pianistique poulencquienne fait viscéralement corps et accord avec l'homo esthéticus Poulenc, le Tourangeau composant et contrôlant au piano toutes ses alchimies sonores avant de les réarranger pour instruments et/ou voix.
Aux confins de la conscience, s'insinuent, dans l'imaginaire musical, les traces mnésiques d'un environnement sonore en perpétuel devenir. Gravures du temps, elles mélancolisent l'univers pianistique poulencquien : citations, rappels, réminiscences résonnent alors sur l'écliptique de la mémoire, comme autant de résurgences d'un monde sonore quitté à regret...
La veine populo-folklorique, héritée de l'enfance nogentaise du compositeur et des goûts encanaillés de l'oncle maternel, s'épaissit et se densifie au contact des courants folkloriques et populaires traversant la France de l'entre-deux-guerres. Cette propension à assimiler, digérer, puis recréer son musée imaginaire, Poulenc la cultive aussi dans son style néoclassique.
Instrument de médiation entre la chair et l'esprit, incarnation aussi et surtout de l'être romantique, le piano se révèle rapidement le théâtre des hésitations, des fluctuations, des équivoques du compositeur : entre romantisme et avant-gardisme, son coeur balance. Fondamentalement, le pianiste-compositeur français s'inscrit dans la généalogie de l'homo sentimentalis et, à ce titre, s'identifie plus ou moins consciemment à l'idéal de l'éternel romantique, dont les tenants et les aboutissants, depuis la lyrique des troubadours jusqu'au surréalisme, ne cessent d'inventer et de réinventer, dans un mouvement perpétuel, l'art intemporel des correspondances...
Le rêve éveillé et la surprise tiennent lieu de modus vivendi à cet art fait de « Grieg-à-Braque », qui tente en permanence le grand écart entre des positions apparemment inconciliables : les saisons mentales, chez le musicien français, qu'elles soient nocturnes ou diurnes, « inspirées » ou automatiques, fantastiques ou fantaisistes, spleen ou humoresques, se conjuguent à tous les temps ; du temporel vers l'intemporel, l'idéal de l'éternel surréaliste passe, pour Francis Poulenc, par la constitution psycho-esthétique du complexe de l'éternel androgyne : entre masculin et féminin, entre naissance et mort, entre aube et crépuscule, entre le chronique et l'anachronique, entre le réel et le surréel, entre l'imagé et le musicalisé, entre le représenté et le senti, entre le corps et l'affectivité, entre mort symbolique et désir d'éternité, son piano joue les passe-murailles...