«La musique illumine les hommes et leur donne leur dernier espoir; Staline lui-même, ce boucher, le savait.» Ainsi parla le compositeur russe Dmitri Chostakovitch, que ses premières oeuvres, dans les années 1920, avaient désigné comme l'enfant prodige de l'avant-garde. Mais cette singularité même devait lui nuire dix ans plus tard, sous le régime stalinien totalitaire, dont les raisons de persécuter les artistes étaient si imprévisibles.
Solomon Volkov - qui a collaboré aux mémoires de Chostakovitch, parus en 1980 en français sous le titre Témoignage - décrit de quelle façon cette meurtrière incertitude affecta la vie et l'oeuvre du compositeur.
Volkov, grand connaisseur de la vie culturelle en Russie soviétique, nous montre le «fou de Dieu» qui existait chez Chostakovitch: un homme qui disait la vérité et osait contester l'autorité suprême. Nous voyons comment le musicien a lutté pour rester fidèle à lui-même dans sa musique et de quelle façon Staline alimentait cette lutte, tantôt interdisant ses oeuvres, tantôt les encourageant. Nous voyons comment certains des contemporains de Chostakovitch - notamment Mandelstam, Boulgakov et Pasternak - furent victimes des manipulations de Staline et de quelle manière le compositeur échappa de justesse au même sort. Nous découvrons enfin quel prix psychologique il dut payer pour préserver ce que d'aucuns percevaient comme une réserve ne visant qu'à servir ses propres intérêts et d'autres comme une individualité qu'il avait raison de défendre.
Voici un compte rendu révélateur des rapports unissant un des plus grands compositeurs du vingtième siècle à l'un de ses plus impitoyables tyrans.