Chabrier compte parmi les compositeurs les plus attachants de toute l'histoire de la musique, tant sa personnalité joviale, sa cocasserie, sa fougue débordante ont su rallier les suffrages de ses contemporains les plus prestigieux. Tout autodidacte qu'il fût, il n'en écrivit pas moins une musique très neuve de ton, envers laquelle nombre de compositeurs du début du XXe siècle, Ravel et Poulenc en tête, proclamèrent leur admiration et leur dette. Profondément anticonformiste, il n'aborda jamais la grande forme, ne composant ni symphonie ni sonate, mais, à l'instar de ses amis impressionnistes sublimant des sujets ordinaires, préféra transcender des genres mineurs comme l'opérette, la romance ou la petite pièce pour piano, leur imprimant une couleur harmonique et une verve rythmique pleines d'imprévus qui n'appartiennent qu'à lui. Si sa lumineuse rhapsodie pour orchestre, España, lui valut une immédiate renommée mondiale, le reste de son oeuvre essentiellement lyrique (L'Étoile Gwendoline, Le Roi malgré lui) et pianistique (Pièces pittoresques) témoigne, aussi bien dans sa veine légère que dramatique, du tempérament peu conventionnel de son auteur. Éblouissant épistolier à la gaieté communicative, ami intime des plus grands peintres de son temps (Manet, Monet, Renoir, Sisley...) dont les toiles couvraient les murs de son appartement, il est bien, à travers cet ouvrage aussi richement documenté que divertissant, ce personnage que Verlaine, alors librettiste de ses opérettes de jeunesse, disait " gai comme les pinsons et mélodieux comme les rossignols ", mais derrière lequel se cachait une nature ardente et inquiète qu'un feu intérieur consumera et finira par détruire trop prématurément.