Dans sa Chronique de ma vie musicale, Rimski-Korsakov relate
tout son parcours : de ses premiers souvenirs d'enfance jusqu'à
deux ans avant sa mort. Cet officier de marine devenu compositeur
se met constamment en regard avec tout ce qui se fait en même temps
dans le monde musical russe, et livre ainsi une somme d'informations
de première main. Cette traduction française, la première intégrale,
paraît à l'occasion du centenaire de la mort du compositeur.
Sans artifices, sans «littérature» superflue, toute la galerie de
portraits de ceux qui ont fait exister la musique russe défile devant
le lecteur, conférant une proximité humaine inattendue au
fascinant et dictatorial Balakirev et à son «groupe des Cinq» dont
Rimski-Korsakov a fait partie avec Cui, Moussorgski et Borodine,
au critique et polémiste Stassov, au chef d'orchestre Napravnik,
aux frères Anton et Nikolaï Rubinstein, à l'éditeur Belaiev, à
Tchaikovski, Liadov, Glazounov, et tant d'autres. On pénètre aussi
dans les coulisses des théâtres impériaux, observées avec une objectivité
sans complaisance.
Les oeuvres mêmes de Rimski-Korsakov s'éclairent d'une abondance
de détails qui en enrichit la compréhension. Et l'homme
perfectionniste, critique envers soi-même comme envers les autres,
«réviseur» parfois excessif de ses confrères (Moussorgski), révèle
derrière son apparente austérité sa face sensible, son attachement
aux traditions slaves ancrées dans le peuple et son émerveillement
devant les beautés de la nature.
Pédagogue au charisme généreux, il n'hésitera pas à payer de sa
personne lors des événements de 1905 en soutenant les étudiants
en lutte contre la direction du Conservatoire. Derrière la haute et
raide silhouette du magister intransigeant, c'est une belle personne
qui se dessine à travers la sincérité et la probité de sa narration.