Le vingtième siècle est celui du néo-positivisme. Marqué par l’empirisme radical et l’esprit de refondation qui a présidé aux ambitions de l’axiomatisme, il a donné naissance à la Gestalttheorie comme à la cybernétique. De Vienne aux États-unis, puis de retour en Europe, ce parcours séculaire se reflète aussi dans la modernité musicale. Les premières réunions qui donneront naissance au Cercle de Vienne, sorte de laboratoire inter-disciplinaire du néo-positivisme en Europe, datent de 1922. Les prémisses existaient déjà autour de Hans Hahn dès 1907. Un calendrier assez similaire peut être dressé, dans la même ville, pour la naissance du dodécaphonisme, autour de la personnalité tutélaire d'Arnold Schoenberg. Dès cette période, les mouvements musicaux, scientifiques et philosophiques ne vont cesser de mener des parcours parallèles, infléchissant les pratiques compositionnelles vers une rationnalité poétique avide de ruptures et de renouvellements.
La création musicale va donc s'imprégner de ces influences déterminantes autour de la question de la calculabilité du musical. Du Cercle de Vienne à l’École de Vienne, de l’Axiomatique au Contrepoint dissonant, du Second principe de la thermodynamique à la Musique spectrale, de la Cybernétique à la Musique algorithmique, elle semble donc trouver dans le néo-positivisme beaucoup plus que des méthodes ou des alibis, des recettes ou des oracles : elle y découvre, après Wagner et son théâtre d’ombres, un bouleversement esthétique inespéré. L'idée générale de l'ouvrage est de retracer la continuité de ces parcours parallèles en suivant les grands bouleversements culturels du siècle, et en particulier, avant et après la Seconde Guerre mondiale, les déplacements culturels (translatio studii) qui mèneront à l'avénement de la cybernétique musicale.
« Es ist passiert... » rappelait avec ironie le Viennois Robert Musil. « C’est fini... », un siècle néo-positiviste a passé mais il ne sera pas dit ici que l’époque de la fascinante synchronisation de la musique des humains sur le temps des machines fut une bonne ou une mauvaise chose.