Le Paradis perdu de John Milton s’ouvre sur la vision de Satan et de ses anges évanouis dans le lac brûlant de l’Enfer après leur chute vertigineuse dans le grand abîme. Ce n’est que quelques chapitres plus tard que l’on apprendra de la bouche de Raphaël venu mettre Adam en garde, le détail de la révolte de celui qui, après avoir été l’ange porteur de lumière (Luci-fer), va devenir la personnification des ténèbres.
Ce concerto pour trombone, véritable poème symphonique, reconstitue la chronologie de cet événement biblique décrit avec une force d’évocation hallucinante par le poète anglais du xviie siècle.
Un doux cluster de cordes – le royaume céleste baigné de lumière – ouvre le décor et laisse parler une voix soliste… le violoncelle. Quand le doute s’installe sur un accord où se déploie l’orchestre complet, le prota-goniste laisse percer un autre pan de son visage et sa voix se transforme pour laisser la place au trombone – frère jumeau du violoncelle – qui continue son chant dans un environnement orchestral de plus en plus tourmenté. Puis la «Lumière ?» du premier mouvement, aux couleurs plutôt diatoniques, bascule progressivement vers la «Révolte» par le biais d’une section aux différents tempos superposés.
Ce deuxième mouvement très vif est une fugue dodécaphonique dont les développements successifs figurent les combats de l’armée des anges rebelles contre les séraphins, avec mouvements de masse, chocs violents, repos haletants et reprise effrénée des combats ; jusqu’à l’intervention du Fils (blocs harmoniques des cuivres) qui pousse les insurgés aux limites du ciel et les précipite dans une chute qui durera neuf jours.
C’est dans un magma grave et vrombissant que survient la cadence du soliste?: elle est la voix de l’ange vaincu qui reprend ses esprits.
Le troisième mouvement, « Abîmes », est une marche pesante et douloureuse dans laquelle Satan réveille son armée et inaugure son Pandémonium. Le mal a désormais son monarque.
Quoi de plus actuel et de plus proche de l’homme moderne que le destin de cet ange déchu ? Refusant de se considérer comme la créature d’une puissance supérieure, mû par un orgueil insensé qui le convainc d’être au moins l’égal du Créateur et aveuglé par la prise de conscience de son libre-arbitre, il se voit maître du monde et se révolte pour détruire l’ordre établi. D’une certaine façon, la mort de Dieu proclamée par Nietzsche à la fin du xixe siècle n’a-t-elle pas laissée l’humanité orpheline de certitude spirituelle et ne l’a-t-elle pas précipitée dans ce nouveau grand abîme?: la révélation de l’absurdité de l’existence ?