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La flûte, en tant qu'instrument soliste, a trouvé son plein épanouissement avec la musique du 20ème siècle et depuis Debussy, en passant par Varèse, Berio, Boulez, de nombreux compositeurs ont écrit pour elle...
On remarque que dans la plupart des oeuvres écrites pour flûte seule à partir de la seconde moitié du siècle dernier, les modes de jeu - pizzicato, tongue ram, jeux de clés, glissando, souffle, whistle-tone... - sont monnaie courante et que l'instrument est devenu porteur d'une certaine forme "d'exotisme". Pour ma part, ayant eu la chance de travailler régulièrement avec Pierre-André Valade depuis mes jeunes années, je n'ai pas échappé à cette tentation et Eolia composée en 1981 reste une pièce très symbolique de ce type de démarche.
Mais, depuis Loops I pour flûte seule (2000), je tente de réutiliser la flûte dans ce qu'elle a de plus immédiat - sa souplesse, sa fluidité et sa virtuosité - en ne faisant appel à aucun mode de jeu, et ceci de façon délibérée. A propos de ce premier Loops, j'avais déclaré : "Il y a longtemps que je voulais écrire une nouvelle pièce pour flûte seule. En fait, depuis Eolia, dans laquelle j'avais essayé de détourner le jeu volubile classique de la flûte tel qu'il apparaît dans la littérature traditionnelle. Dans Loops I, le son de la flûte et les techniques de jeu importent moins finalement que les processus de transformation mis en oeuvre. Je pars de petits motifs rythmiques qui se répètent et se transforment peu à peu. En fait, ce sont des formules simples qui, par ajout ou soustraction successifs, finissent par créer elles-mêmes de nouvelles boucles".
Je reprendrai volontiers cette déclaration à propos de Loops III, écrite pour deux flûtes, nouvelle pièce participant des mêmes préoccupations à la différence près que cette pièce intègre une idée nouvelle, la musique se voulant en effet ici délibérément obsessionnelle. En effet, chaque transformation des petits motifs énoncés conduit inévitablement à une boucle qu'on a déjà entendue et l'auditeur est pris peu à peu dans une sorte de toile d'araignée d'où il lui est très difficile de s'échapper. Autrement dit, quelques boucles repérables organisent la structure de la pièce et les transformations par morphing qu'elles subissent, aussi variées soient-elles, ne nous entraînent toujours qu'au même endroit. Si la musique semble sans cesse en pleine évolution, les étapes que l'on franchit sont toujours les mêmes et c'est sur ce paradoxe que la pièce est construite.
Par ailleurs, alors que Loops I était avant tout basée sur un travail mélodique, Loops II est construite à partir d'agrégats issus de spectres. D'ailleurs, le choix d'écrire pour deux flûtes me fut dicté par l'envie de faire sonner les deux instruments identiques comme un seul, désir que l'on retrouve dans le travail de synthèse sonore que je développe avec l'ensemble ou l'orchestre. Ainsi, les deux instruments sont souvent homorythmiques et si la pièce reste très rythmique, mon attention s'est portée surtout sur les harmonies et les timbres créés par l'utilisation poussée des micro-intervalles. De temps en temps, l'une des deux flûtes s'échappe afin de "vivre sa vie" - l'aspect mélodique reprend alors le dessus - pour finalement se recaler avec la première quelques mesures plus loin.
Loops I était une pièce ludique, jetée sur le papier, une sorte de bouffée d'oxygène dans ma production alors que Loops III, si elle contient pourtant cette forme de spontanéité, apparaît comme une pièce plus rigoureuse.
Ce travail personnel sur la flûte s'est poursuivi avec Ritornello pour flûte et piano que j'ai écrite pour Anne-Cécile Cuniot et Jean-Marie Cottet et Phonus ou la voix du faune pour flûte et orchestre composée pour Benoît Fromanger et le Oslo Philarmonic, dont les motifs et l'écriture orchestrale, sont directement inspirés du Prélude à l'après-midi d'un faune, la flûte retrouvant là aussi un caractère plus traditionnel déjà présent dans Syrinx.
Peut-être que maintenant, entre la flûte et moi, la boucle est bouclée.
Philippe HUREL
21.50
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